Disponible depuis hier en librairie, Look back est un one-shot de Tatsuki Fujimoto, l’auteur de deux séries très connues que sont Fire punch et Chainsaw Man. Découvrant pour la première fois le trait du mangaka, c’est avec des yeux quasiment neufs que j’aborde cette histoire courte. Et l’expérience s’est révélée à la fois déstabilisante et intéressante sur bien des points.
Avant toute chose, je tiens à remercier les éditions Kazé pour l’envoi de ce volume en service presse.
Le moins que l’on puisse dire c’est que Look back fait beaucoup parler. Déjà lors de sa sortie en juillet dernier sur la plateforme Manga Plus. À présent qu’il est disponible au format relié en France, les avis fusent de partout. J’ai essayé de naviguer entre les tweets pour ne pas trop être influencée. Mais après ma lecture, la curiosité a été trop grande : je n’ai pas pu m’empêcher de voir ce que pensaient d’autres lecteurs, histoire tout de même de voir où je me situais et aussi pour voir d’autres façons d’aborder l’œuvre.
En effet, comme je l’ai évoqué rapidement dans mon introduction Look back est ma première « confrontation » avec Tatsuki Fujimoto. Je pense donc que sans l’opportunité créée par Kazé, je serais peut-être passée à côté de cette histoire et son artiste. Dans un sens, cette série courte me sort complètement de ma zone de confort puisque je pars dans un voyage où la destination m’est totalement inconnue, et le moyen de transport encore plus.
C’est à la fois un exercice de style et un défi enrichissant. Comment appliquer mon système de critique à une œuvre qui s’éloigne de ce que j’ai l’habitude de lire ? N’allez pas croire que je me prenne au sérieux ou tout autre chose. Non, cette lecture m’interroge sur bien des manières, notamment sur la façon dont j’aborde ce que je lis dans l’objectif de publier un article.
Et comme un saut dans l’inconnu peut faire peur, je vais me raccrocher à ce que je sais faire, en regardant ce one-shot sous l’angle de son histoire, ses personnages ainsi que son trait.
Petite précision : Cette chronique n’est pas entièrement exempte de spoiler ou d’éléments qui pourraient aider à deviner l’issue de l’histoire. En revanche, les spoils trop gros ont été cachés dans des balises prévues à cet effet, que vous pouvez dérouler si l’envie est là. Assurez-vous toutefois de ne pas désactiver le JavaScript.
La jeune Fujino est un peu la star de son école. Du haut de son jeune âge, elle dessine chaque semaine pour la rubrique manga du journal ; ce qui lui vaut beaucoup d’admiration auprès de ses camarades de classe. Un jour, alors que son professeur lui demande de partager cette rubrique avec une autre élève, ses certitudes se retrouvent chamboulées… Elle, qui se pensait talentueuse, commence à douter devant le talent de cette « rivale », qu’elle n’a encore jamais vue.
Quand le Soleil rencontre la Lune
Au premier abord, Fujino est une fillette difficile à saisir. Elle donne l’impression d’avoir confiance en elle et ses capacités, prenant le dessin à la légère. Pour elle, c’est facile, ça ne lui prend pas longtemps et elle dessine juste pour s’occuper entre deux leçons. Je dois avouer avoir eu un peu de mal avec elle, en particulier sa fausse nonchalance. C’est le partage de cette rubrique dont elle était la « reine » qui va la faire changer et me faire l’apprécier. Surtout, pour la première fois, elle se remet en cause. D’une part sur son talent, d’autre part sur son attitude par rapport au dessin.
Kyômoto, au contraire, est une jeune fille effacée, ultra-timide et qui n’a pas confiance en elle. Elle vit recluse dans sa chambre et ne fait quasiment que dessiner. Les deux filles sont un peu les facettes d’une même pièce, qui vont s’influencer mutuellement et apprendre l’une de l’autre.
Si l’une est plus expansive, plus prompte à exprimer ses sentiments, l’autre est plus en retrait, dans tous les sens du terme. Pourtant, le fait qu’on ne la voie au départ qu’à travers ses dessins, et plus particulièrement ses décors, m’a beaucoup touchée.
Leur rencontre donnera lieu à de beaux instants de complicité mais aussi quelques moments très durs. Certes, les opposés s’attirent. Toutefois, la divergence des points de vue peut créer de la distance… Et le Soleil ne pas accepter que la Lune sorte de son giron…
Le langage du dessin
Tatsuki Fujimoto se définit par un style assez particulier – auquel qu’on adhère ou non – tant dans le trait que la mise en page. Les lignes sont parfois moins bien définies, avec beaucoup de contours hachurés en surépaisseur. Cela participe à créer davantage de confusion dans l’action mais aussi à exacerber les émotions des personnages. La colère devient alors de la rage dont on mesure toute l’envergure.
Un autre point m’a marquée : les plans sans paroles sont très nombreux. Il peut même se passer plusieurs pages sans qu’aucun mot ne soit prononcé. Les cases sont souvent grandes, aérées et peu s’enchevêtrent. Rares sont les moments où les bulles prennent le dessus.
On nous laisse à notre propre interprétation de l’action ; celle-ci étant parfois tronquée par de nombreuses ellipses. Ainsi, en fonction de notre affect et sensibilité, on sera touché plus ou moins intensément par l’histoire. Et ça, c’est tout à fait personnel ; ça ne se commande pas.
De même, l’absence de narrateur participe grandement au mystère et à la surprise que constitue le dernier tiers (à la grosse louche) du volume. On manque de perspective et de recul vis-à-vis de l’action, ce qui fait que l’on est d’autant plus manipulé par ce que le mangaka nous propose.
C’est d’ailleurs, ce qui dans un sens m’a peut-être laissée en retrait de l’action. J’aime beaucoup la façon dont Tatsuki Fujimoto a construit sa narration ; celle-ci étant gérée avec maîtrise : il sait où il veut en venir et l’effet qu’il veut provoquer. En revanche, chez moi, cela n’a pas eu le résultat escompté. Il m’a manqué un petit quelque chose. Le côté détaché du récit a certainement créé de la distance entre l’action et moi. Mais ce n’est pas grave parce que cela ne m’a pas empêchée de relire l’histoire et d’apprécier ce que j’ai lu. Qu’on ne s’y trompe pas !
De plus, l’auteur aime mélanger certains aspects pour nous perdre encore plus. Tout n’est pas clairement défini dans la mise en page. On laisse là encore le lecteur faire le job de supposer.
En lisant pour la première fois Look Back, j’ai été un peu surprise de ne pas avoir tout compris du déroulement du récit. J’avais même une première interprétation totalement différente de la suivante lors de ma relecture.
Look back : ressasser, se remémorer…
Lors de ma deuxième lecture, étant à la recherche d’indices me permettant d’interpréter un peu plus justement le récit, je me suis intéressée au titre. En effet, comme il s’agit d’une translittération de la version originale, cela paraît tout à fait pertinent de se pencher dessus.
« To look back » peut se traduire de plusieurs manières, qui évoquent toutes une idée retour en arrière et de nostalgie, éventuellement. Que cela soit positif, en se remémorant le passé ou négatif en ressassant des pensées moins heureuses. C’est peut-être finalement là que la clé de compréhension se trouve ! L’ambivalence du titre fait qu’on peut voir les choses de deux façons différentes.
2 commentaires
Comme tu évoques le fait que tu découvre l’auteur avec ce titre, et que tu indique à la fin que ça peut constituer une bonne porte d’entrée, je me permets de réagit. Je pense en effet que c’est la porte d’entrée la plus accessible car l’auteur se débarrasse de certains éléments pouvant poser problème dans son style, et dans un récit plus terre à terre (plus accessible également selon moi). Mais si on le découvre avec ce titre et qu’on tente ensuite Fire Punch, on prend le risque de tomber de haut aussi du fait des différences.
Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé ton article très intéressant, notamment car tu te focalise sur des points assez différents des miens, qui suit resté un peu bloqué sur le côté autobiographique pour le coup.
Je te rejoins pas mal sur ce point ^^ On voit parfois les one-shot des auteurs comme des titres qui pourraient plutôt plaire davantage à des fans, mais certaines fois ils sont plus accessibles (en terme d’univers j’entends) qu’une œuvre complète en plusieurs tomes. Par contre, c’est sûr que si Fire Punch est un peu spécial, ça pourrait décevoir. Par contre, peut-être avec Chainsaw man, ça pourrait marcher. En tout cas, c’est le prochain titre qui m’intéresse.
Merci beaucoup ! Je t’avoue être restée très classique dans mon analyse car ma lecture m’a donné un effet un peu étrange. C’est là où j’aime beaucoup ton article parce qu’il me montre les éléments que j’ai loupés, ne connaissant pas du tout l’auteur. Et maintenant que je l’ai lu, je vois d’autres possibilités, surtout pour ce qui concerne les références ^^ Je n’avais pas du tout envisagé Look back sous cet angle !