Dans le cadre du challenge Osamu Tezuka organisé par majolou – et pour temporiser mes achats – j’ai eu envie de relire Ayako, ma première série de l’auteur. À la fois sombre et percutant, Ayako est un récit dont on ne ressort pas totalement indemne.
TW inceste et viol : Avant toute chose, je me dois de vous avertir que cette série aborde des thématiques – entre autres – assez dures telles que l’inceste et le viol.
Ma critique s’intéresse à l’histoire dans son intégralité. Bien entendu, je veillerai à ne pas dévoiler trop de détails afin de vous laisser « savourer » le suspense de certains moments clés. Tout spoiler sera donc circonscrit à l’intérieur de balises dédiées, que vous pouvez choisir de dérouler, ou non.
Passons à présent au récit.
1949. Jirô Tenge et plusieurs autres prisonniers reviennent dans la baie de Tokyo et sont accueillis par leurs familles. À son retour dans la propriété familiale, le jeune homme retrouve ses frères et sœurs, ainsi qu’une certaine Ayako, dont la naissance – taboue – ne manque pas de piquer sa curiosité…
4 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les choses ont changé. Les Américains occupent le pays, ce qui entraîne un bouleversement chez les propriétaires terriens, obligés de céder leurs parcelles aux paysans. C’est notamment le cas de la famille Tenge, qui voit ses richesses fondre progressivement. Le patriarche, Sakuemon, entend bien conserver le peu qui lui reste. Tous les moyens sont alors bons pour satisfaire ses desseins.
Un titre sombre – et dérangeant – richement écrit
Il y a près de 10 ans lorsque j’ai pris cette série, j’avais surtout été interpelée par son titre, correspondant à un ancien pseudo que j’utilisais sur Internet à l’époque. J’étais bien évidemment loin de me douter de toute l’étendue du récit et encore moins son impact à ma lecture. Après, rien qu’en observant la couverture des différents tomes et l’évolution de l’expression du visage de la jeune fille puis de la jeune femme, je m’attendais quand même à lire une série dramatique.
De la petite fille au regard enjoué à la jeune femme profondément triste
Véritable drame social, Ayako s’intéresse à des thèmes difficiles et la violence, tout comme la cruauté ne sont pas absentes du récit. Passées les retrouvailles de Jirô avec sa mère et sa jeune sœur Naoko, Osamu Tezuka nous plonge rapidement dans ce qui augure une histoire sombre où le malaise est fort présent. La naissance trouble de la jeune Ayako nous met la puce à l’oreille à travers les questions pertinentes du jeune homme. Bien entendu, la révélation n’attend pas et l’auteur nous aiguille immédiatement sur la piste. Le savoir n’est pas le plus important, comprendre qu’il s’agit d’un secret de polichinelle et d’un véritable tabou pour la famille Tenge l’est davantage. C’est là où va se jouer tout le drame !
La narration voulue par l’auteur se fait d’un point de vue interne – celui de Jirô la plupart du temps. Nous sommes totalement plongés dans le récit, un peu à la manière d’une petite souris qui vivrait les événements en direct. C’est d’autant plus intense qu’il n’y a pas de recul pris par un quelconque narrateur – celui-ci faisant des apparitions brèves et n’est pas lié à la famille de toute évidence. Il lui arrive parfois de re-contextualiser l’époque ou préciser ce qu’il s’est passé lors de certaines ellipses.
Le tout est accentué par un découpage très cinématographique et propre des planches. C’est un peu comme si une caméra suivait les protagonistes pour les filmer sous plusieurs angles, capturant le plus précisément possible les sentiments des personnages ainsi que les détails des scènes. Les cases sont nettement marquées et peu de choses en sortent. Cela donne un impact plus saisissant à l’histoire. D’autant plus que les décors sont soignés et riches quand cela est nécessaire.
Le retour de Jirô au pays – tout passe par le point de vue
La descente aux enfers progressive d’une famille et d’un système
Osamu Tezuka place son récit à une période assez trouble de l’histoire japonaise : celle de l’après-Seconde Guerre Mondiale. Le pays est occupé par l’armée américaine qui dicte ses lois et impose certaines conditions. Les propriétaires terriens sont touchés de près par les diverses réformes, forcés de léguer une partie de leurs terres aux paysans. Mais ce ne sont pas les seuls. Le secteur des chemins de fer accuse lui aussi le coup.
C’est dans ce contexte difficile que la famille Tenge vit désormais. Poussé dans ses derniers retranchements, Sakuemon Tenge, le père, use de tous les moyens nécessaires pour garder ses terres, dût-il commettre des actes irréparables. Mais ce genre de comportement ne restera pas impuni. Si ce n’est pas du côté légal que cela se passe, il finit par le payer très cher – autrement.
Le patriarche n’est pas le seul à en prendre pour son grade. Osamu Tezuka s’assure que chacun des protagonistes, responsables de comportements répréhensibles aussi bien par la loi que par la morale, n’en sorte pas indemne. Bien entendu, l’auteur amorce ces descentes aux enfers progressivement, n’hésitant pas à triturer les esprits de ses personnages, les faisant passer par différents stades avant la déchéance ultime.
Au-delà de la famille Tenge, c’est tout un système pourri jusqu’à l’os que nous décrit le mangaka. Parallèlement, la montée du communisme en Asie pousse également les Américains à user de méthodes plutôt radicales pour endiguer le problème. Pour rappel, la guerre de Corée n’est pas loin. Des Japonais n’hésitent pas à œuvrer contre leur pays, pour servir les intérêts de cette nouvelle puissance. Ainsi, entre espions, contre-espions et hommes politiques à la botte des Américains, tous ces univers se mélangent pour nous offrir un singulier portrait du Japon d’après-guerre. Et que fait la police, me direz-vous ? Pas grand chose. Impuissante face à tout ça, elle se contente de suivre les affaires en tentant de recoller les morceaux. Mais les jeux d’influences empêchent les forces de l’ordre d’aller plus loin, tant elles se heurtent à des murs de silence.
Scène de vie dans la résidence des Tenge : le calme avant la tempête ?
De la naissance à l’âge adulte : le destin sinistre d’une jeune fille
De la fin des années 1940 au début des années 70, l’histoire nous montre l’évolution progressive des personnages qui la jalonnent, en particulier une : Ayako. Delcourt précise d’ailleurs dans ses notes de fin comment Osamu Tezuka interprète le nom de l’héroïne.
Pour le prénom de son héroïne, Tezuka donne la prononciation « aya » à un caractère qui signifie « étrange », « mystérieux ». « Ayako » pourrait ainsi signifier « fille de l’étrange » ou « fille au singulier destin »…
Notes de fin – Ayako tome 3
Dès lors on comprend que cette jeune fille – puis cette femme – n’a pas une vie commune. Le début de sa vie n’est pas spécialement enviable. Bien que chouchoutée par son père, elle subit les brimades d’Ichirô, l’aîné de la fratrie, qui ne supporte pas sa vue. Pour lui, tout est prétexte à la battre ou la malmener.
Si malgré les difficultés elle demeure souriante, un événement ternira à jamais sa vie et lui laissera un traumatisme indélébile. À travers ces trois tomes, le mangaka s’intéresse à montrer le destin singulier de cette héroïne, ainsi que les conséquences de toutes les violences – physiques et psychologiques – qu’elle a subies.
Sans parler d’attachement, je n’ai pas pu m’empêcher de m’apitoyer sur son sort. Sa détresse, sa « folie » et son désarroi sont tellement palpables qu’ils m’ont prise à la gorge.
3 commentaires
Ca n’avait pas été un coup de coeur mais j’avais beaucoup aimé ce manga. Ta critique lui rend bien hommage et tu m’as même donné envie de le relire ! 🙂
Pareil, je ne qualifierais pas ma lecture de coup de cœur. x) Mais comme toi j’ai bien aimé. Ça m’a secouée et intriguée à la fois. Et puis Osamu Tezuka a un don pour raconter des histoires.
Merci beaucoup ♥ J’ai vraiment été inspirée par cette chronique, alors je suis contente si elle t’a donné envie de relire le manga. ^^
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